Le vigneron bourguignon Louis-Michel Liger-Belair, producteur à Vosne-Romanée et Vougeot, participe à la mise en place d'une plateforme dédiée à l'authentification des vins. Explications.
« La France a peur », aurait dit le présentateur du journal télévisé Roger Gicquel. «Nos clients sont inquiets», annonce sur le même ton grave le vigneron Louis-Michel Liger-Belair. La cause de cette crainte ? «Il est beaucoup question de faux dans le monde du vin, explique le Bourguignon. Nous avons été peu confrontés à ce phénomène mais nous savons qu'il n'est pas difficile de réaliser une fausse bouteille, et cela en dépit des nombreuses protections mises en place par les producteurs. Comme je ne veux pas avoir à réagir personnellement au dernier moment à un problème de ce type, j'ai décidé de prendre les devants avec ma propre solution».
La fraude et la contrefaçon : une plaie qui concerne des dizaines de milliers de bouteilles chaque année dans le monde. Au sein des institutions chargées du contrôle, les plus pessimistes avancent que 20 % du commerce international de vin serait affecté. Le sujet n'est pas nouveau. Les écrits antiques relatent des manœuvres de coloration du vin et autres subterfuges. Les histoires de mélanges trompeurs, de falsifications d'appellations et de fausses étiquettes ont ponctué l'histoire de ce petit monde. En France, la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF) contrôle la régularité des opérations du microcosme, épaulée par neuf brigades d'enquêtes vins et spiritueux. Cependant, le commerce mondial des crus s'est intensifié. Le milieu se souvient de l'affaire Rudy Kurdiawan, un faussaire indonésien, contrefacteur de bourgognes du domaine Rousseau, de Château de la Tour et de dizaines d'autres grands crus.
Aujourd'hui, alors que de plus en plus de flacons sont échangés sur le web, beaucoup d'intermédiaires - négociants, spécialistes des enchères en ligne... - endossent le rôle d'authentificateurs, mais avec des compétences variables et une moralité parfois modulée par les intérêts des affaires, disent certains producteurs. De son côté, Louis-Michel Liger-Belair considère qu'il appartient au vigneron de garantir l'authenticité de la production aux différents acheteurs. Sa solution s'appelle Wokenwine, du nom d'une nouvelle société basée au Luxembourg et créée par le financier Valéry Lux, «un amateur et un consommateur de vin qui a été confronté à des bouteilles douteuses, mais aussi un passionné de nouvelles technologies et un grand connaisseur des questions liées à la blockchain», explique Louis-Michel Liger-Belair. Ce dernier est lui-même actionnaire à hauteur de 20 % de cette plateforme qui associe chaque bouteille à un NFT, c'est-à-dire un format numérique faisant office de certificat d'authenticité infalsifiable car enregistré sur la blockchain.
«En disposant de la puce et du numéro de la bouteille, il suffit de se connecter à la plateforme pour identifier la bouteille ainsi que son origine et son parcours. Wokenwine va associer la puce à un code couleur : elle sera verte quand le vin est encore stocké chez le vigneron, jaune lorsqu'il se trouve chez les intermédiaires, noire quand la bouteille est bue», explique Liger-Belair.
Restera ensuite à faire connaître l'existence de Wokenwine et de l'association de certains vins à des NFT qui pourraient inciter des acheteurs à vérifier l'authenticité des flacons lors de l'acquisition. Ce système pourrait limiter les déplacements des vins. Une fois un flacon entreposé dans un lieu idoine, le changement de propriétaire pourrait se résumer à une simple modification de son code, sans aucun déplacement. «Cela peut éviter d'avoir des bouteilles qui font des dizaines de milliers de kilomètres avant d'être vendues, reprend Louis-Michel Liger-Belair. Au-delà des questions de manipulation des stocks et de la stricte protection contre les faux, il s'agit aussi de savoir qui boit le vin et comment il le boit. Cela m'intéresse d'identifier de bons clients que je ne connais pas et de les rencontrer». Dès juillet, lui-même compte associer à ce système 3 000 bouteilles de sa production, qui oscille entre 20 000 et 30 000 bouteilles chaque année. Combien ce dispositif de protection va-t-il coûter aux intéressés ? «C'est encore en discussion. Pour le producteur, nous voulons que cela corresponde à moins de 10 % du prix de la bouteille. Reste aussi à déterminer si les intermédiaires participeront au coût de cette technologie».
Wokenwine ne sera pas, loin s'en faut, le seul acteur du marché des NFT associé à la sécurité des échanges de vin. D'autres systèmes proposent d'équiper les bouteilles d'un tag RFID garantissant le lien entre la bouteille de vin et les informations contenues dans la blockchain. Depuis un an, le secteur est en pleine ébullition. Les grands groupes multiplient les initiatives. En octobre denier, le champagne Dom Pérignon présentait cent flacons designés avec Lady Gaga et leurs versions NFT, qui furent vendus dans un espace virtuel. Château Angélus, à Saint-Émilion, et la marque australienne Penfolds suivent le mouvement, comme beaucoup d'autres, mixant effet d'annonce, désir d'être dans l'air du temps, lutte contre la fraude et volonté de tracer avec précision des produits de grande valeur. L'amateur de vin devrait sortir gagnant de la mise en place de ces nouveaux dispositifs, à condition qu'elle ne rime pas avec un surcoût trop élevé du flacon.
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