L’une des figures les plus emblématiques de la viticulture corse s’est éteinte jeudi dernier à 94 ans.
Christian Imbert était non seulement le fondateur du Domaine Torraccia en Corse du sud, mais également le chantre et l’un des premiers défenseurs des cépages autochtones de l’île. Il n’était pourtant pas corse d’origine mais, comme il le disait lui-même lors de notre dernière rencontre chez lui en 2019, « un Morvandiau qui s’était corsifié en revenant d’Afrique ». Après avoir fait commerce au Tchad d’arachide et de gomme arabique, il était arrivé en 1964 dans une Corse encore sauvage et avait trouvé à Lecci, au-dessus de Porto-Vecchio, un domaine de 300 hectares entre mer et montagne, surplombant la baie de Pinarello. Il avait dû défricher le maquis pour planter sur ses arènes granitiques un vignoble s’étendant aujourd’hui sur une quarantaine d’hectares. « À l’époque, il y avait peu de caves particulières et la vigne n’intéressait pas trop les Corses. Mais les Pieds-Noirs de retour d’Algérie s’étaient mis à planter des cépages pour faire des vins courants à gros volumes ; c’étaient des bistouilles innommables mais qui rapportaient beaucoup. J’ai pris le contre-pied en plantant du niellucciu, un cépage avec du caractère, du sciaccarellu, plus féminin et plein de grâce et du vermentinu très adapté au climat montagneux d’ici. Et j’ai pratiqué très tôt la biodynamie qui favorise un enracinement profond sur ce terroir pauvre granitique et préserve l’écosystème. »
Défenseur et fédérateur
Christian Imbert construit sa cave dotée de grandes cuves émaillées en béton et défend des vins sans bois. Il doit se battre, parfois même sous la menace, pour pratiquer une viticulture qualitative et identitaire. Il participe activement à l’obtention de l’AOC pour les vins corses (en 1976) et crée la même année l’Uva Corse (uva signifiant raisin en corse). L’association fédère une trentaine de vignerons indépendants défendant la même philosophie (pas de pesticides ni d’engrais, des vendanges manuelles, des cépages corses valorisés…). Elle a pour devise « La vigne, c’est le vin avant l’argent » et « Restons hommes libres », et comme objectif de faire connaître dans le monde entier la typicité de ces vins insulaires. En 2016, Christian Imbert était d’ailleurs à la Bonne Franquette à Montmartre avec les autres vignerons de l’Uva pour fêter les 40 ans de l’association.
La transmission
Il y a une quinzaine d’années, il a passé le relais non sans heurts à son fils Marc qui pilote désormais avec sa femme Sarah les 43 hectares certifiés bio. Ce vigneron philosophe approfondit inlassablement sa connaissance de la vigne à flanc de coteaux, replante du vermentinu, imagine les assemblages en goutant les raisins à la vendange et les jus de presse en cave, peaufine des sélections parcellaires, s’essaye aux co-fermentations, réinvente chaque vin et chaque millésime. « Je suis fier de mon fils qui fait de grands vins car c’est un bon musicien et le vin est une musique » nous avait confié Christian Imbert. Il avouait un faible pour la cuvée Oriu rouge en niellucciu-sciaccarellu, en particulier le 2001, « une très grande année en Corse ».
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