En acquérant la totalité de la maison de Dizy, la holding de la famille Pinault étoffe son portefeuille d’étiquettes de prestige.
C’est un petit bijou de la Champagne, dont le nom sonne comme celui d’une star de la pop, qui tombe dans l’escarcelle d’Artémis Domaines. La maison Jacquesson figure sans conteste parmi les vedettes du monde des belles bulles. Les habitués des bons cavistes connaissent bien les étiquettes ornées de cartes géographiques ou de gros chiffres rouges, des références à la base de millésime utilisée pour le brut sans année.
Artémis Domaines, qui détenait depuis février 2022 une participation minoritaire (33,5%) dans le capital de Jacquesson aux côtés de la famille Chiquet, finalise son opération en acquérant le solde. Elle devient ainsi l’actionnaire unique. «Ce n’était pas prévu, explique Frédéric Engerer, directeur général d’Artémis Domaines. Mais nous avons eu de très bons échanges cette année. Jean Hervé et Laurent Chiquet ont pris le temps de nous présenter chacun des membres de l’entreprise. C’est une équipe d’une vingtaine de personnes que nous aimons bien. Après une période de transmission des savoirs pendant l’année 2022, nous sommes très honorés de pouvoir prendre la relève» Le montant de la transaction n’a pas été rendu public. La direction générale de la Maison Jacquesson continuera d’être assurée par Jean Garandeau, un ancien de Krug, nommé en septembre 2022. Jean-Hervé Chiquet conservera son siège au Conseil d’Administration.
«Le vignoble compte 38 hectares d’approvisionnement, reprend Frédéric Engerer. Les trois quarts sont propriété de la maison et le quart restant est assuré par quelques familles de livreurs. Le chardonnay représente entre 50 et 55% de l’ensemble, le pinot noir correspond à 35%. Le reste est en pinot meunier» Les terres sont situées dans les villages d’Aÿ, d’Avize, d’Oiry, de Dizy, d’Hautvillers et de Mareuil-sur-Aÿ, mais également de Chouilly, et Cumières. Créée en 1798 par Claude Jacquesson, la maison a produit un des champagnes favoris de Napoléon Ier, dit la légende. S’il est impossible de vérifier les goûts de l’empereur, chacun reconnaît qu’il s’agit là d’une maison d’inventeurs à qui l’on doit le muselet en fil de fer qui remplaça la ficelle destinée à retenir le bouchon, ainsi que la plaque métallique placée au sommet dudit bouchon pour empêcher que le fil ne s’enfonce dans le liège. Ces deux innovations reprises au fil des ans par toute la Champagne sont l’œuvre d’Adolphe Jacquesson. De vrais hits. Avec l’achat de Jacquesson en 1974 par Jean Chiquet, vigneron et courtier, la maison était restée familiale.
Jacquesson a depuis longtemps opté pour une démarche innovante de création de cuvées qui expriment la personnalité d’un millésime et mettent en valeur les parcelles d’exception, produites uniquement dans les meilleures années. «Ici, l’objectif premier est de réussir la cuvée centrale qui doit être optimale, équilibrée. Si cet objectif essentiel est atteint, nous réalisons les cuvées de lieux-dits qui entrent, elles aussi, en partie dans l’assemblage de la cuvée centrale. Nous avons quatre cuvées de lieux-dits. Il s’agit de deux premiers crus de Dizy – Corne Bautray et Terres Rouges – et de deux grands crus d’Avize et Aÿ que sont Champ Caïn et Vauzelle Terme. Deux sont des pinots noirs, les deux autres sont des chardonnays».
Une démarche de vigneron, avant-gardiste, initiée en 2002 et reprise depuis, comme toutes les bonnes idées, par bien d’autres. Aujourd’hui, pour beaucoup de maisons, dans un contexte de grande demande, l’augmentation des volumes produits reste limitée par la taille de l’appellation et la difficulté d’obtenir de nouveaux approvisionnements. Il s’agit alors de valoriser la production existante en mettant en avant le terroir et les cuvées millésimées. Le principe vigneron a des vertus économiques, comme souvent en Champagne. «Chez Jacquesson, entre 250 000 et 300 000 bouteilles sont produites entre les mauvaises et les bonnes années, reprend Frédéric Engerer. Si nous trouvons des approvisionnements de qualité, nous ne nous interdisons pas d’en faire plus.»
Au regard de la qualité des jus des frères Chiquet ces dernières années et des faibles volumes, suite au changement de propriétaire, le consommateur pourrait bien voir les tarifs de son Jacquesson brut sans année – qui oscillent autour de 65€ – et ceux des cuvées de lieux-dits qui avoisinent les 150€, partir à la hausse dans les prochains mois. «Nous regardons cela de très près, notamment en ce qui concerne la cuvée 746 qui va sortir en 2023» commente Frédéric Engerer. Notons qu’en France – qui représente la moitié des expéditions –, comme à l’étranger, toutes les cuvées de Jacquesson sont distribuées sur allocation, c’est-à-dire vendues à des clients qui les ont réservées à l’avance.
Majoritairement détenu par la famille Pinault aux côtés de la famille Henriot, suite à la fusion réalisée à l’automne dernier, Artémis Domaines semble se développer à grande vitesse «mais l’état d’esprit reste le même, nous cherchons juste l’excellence. Nous ne cherchons pas à être présents dans toutes les régions, nous ne voulons pas cocher toutes les cases, nous ne faisons pas de course au volume» explique Frédéric Engerer. La fusion a donné des moyens supplémentaires à chaque partie en termes financiers. Le groupe est déjà à la tête de plusieurs joyaux viticoles en France, comme Château Latour, premier grand cru classé à Pauillac, le Clos de Tart à Morey-Saint- Denis et le domaine d’Eugénie à Vosne-Romanée, Bouchard Père et Fils à Beaune, William Fèvre à Chablis, le vignoble de Château Grillet dans la vallée du Rhône. L’entité est aussi présente aux États-Unis, avec le domaine Eisele Vineyard situé dans la Napa Valley californienne et Beaux Frères dans l’Oregon, «un domaine situé dans une région de pionnier, qui nous apporte un grand bol d’air frais» affirme Engerer. Artémis compte aussi dans son escarcelle le Champagne Henriot à Reims.
Avec l’arrivée de Jacquesson au sein d’Artémis, nous assistons peut-être à la naissance d’un nouvel acteur important de la champagne. «Les deux opérations sont totalement décorrélées l’une de l’autre, corrige Frédéric Engerer. Nous sommes entrés au capital de Jacquesson bien avant la fusion avec le groupe Henriot qui a eu lieu en septembre. En outre, il ne s’agit pas des mêmes équipes, ni du même pilotage. Les deux maisons ont des positionnements différents.» Les deux opérations surviennent cependant à un moment où le vignoble champenois se porte comme un charme. «Le champagne a retrouvé sa place de vin d’exception et il n’existe pas d’autre vin qui est à la fois lié à la célébration et à la gastronomie, remarque David Chatillon, président de l’Union des Maisons de Champagne. En outre, la crise du Covid a changé les habitudes. Les consommateurs ont créé de nouvelles occasions d’ouvrir les bouteilles.» Ce que confirme Maxime Toubart, président du syndicat général des vignerons de Champagne : «Nous observons des mouvements de baisse de la consommation du vin, mais cela ne concerne pas les effervescents qui intéressent les jeunes.» Par ailleurs, la qualité est à la hausse «La tendance est aux cuvées haut de gamme comme aux cuvées de rosé, des champagnes plus élaborés» reprend Toubart. Jacquesson semble ainsi être en phase avec la demande.
En dehors du contexte économique global favorable, la région récolte les fruits du travail réalisé sur la qualité des jus, le marketing, la durabilité. Après avoir oscillé autour de 300 millions de bouteilles pendant une dizaine d’années, les expéditions totales représentaient 322 millions de bouteilles en 2022. Autant de bonnes raisons d’investir en Champagne. Désormais, chacun va observer avec attention les mouvements d’Artémis dans la région.
Nos dernières dégustations du champagne Jacquesson
Jacquesson - Dizy Terres Rouges 2013 Note : 95/100
Un nez de petits fruits rouges, de groseilles, avec de légers arômes de flan à la vanille, de nèfles et de fleur d'oranger. Une belle fraîcheur en bouche, avec des notes d'agrumes, de pamplemousse rose, de beaux amers d'orange sanguine, et une salinité crayeuse, délicatement lactée en milieu de bouche, qui sillonne jusqu'en finale.
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Jacquesson - Corne Bautray 2012 Note : 93,5/100
Au nez, des arômes emplis de douceur de sucre vanillé, d'amandes fraîches, et en bouche des notes de crème brûlée à la vanille, de zeste de citron frais, une jolie texture qui tend en milieu de bouche vers quelque chose de plus crayeux et minéral.
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Jacquesson - Cuvée 744 Note : 92/100
Comme pour chaque cuvée 7XX, l'assemblage de la 744 exacerbe le caractère de l'année de base soit, en l'occurrence, 2016. Au nez, de délicats et très doux arômes de bâton de réglisse, de cidre, de pomme mûre, de la minéralité également. En bouche, il se montre frais, intense et gourmand.
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